Héliodore Gallienne
(1896-1966)
par Jean-Claude Caron
De moins en moins nombreux de nos jours ceux qui se souviennent d’Alice Héliodore Gallienne, cette femme de lettre à la forte personnalité qui avait pourtant su séduire le Tout Bordeaux littéraire et artistique, ce Bordeaux qu’elle a si bien chanté dans ses poèmes. Alice Héliodore a pu sentir une affinité particulière entre elle et cette ville où l’on s’embarquait pour les îles dont son père était originaire. Cette ville où se dressent les ruines du Palais Gallien, ce romain du IIIe siècle, fin lettré et amoureux de la Grèce. Toujours est-il que c’est là qu’elle jette l’ancre, qu’elle décide de s’établir et de poursuivre sa carrière :
Bordeaux dont le nom seul est un appel
Pour tout pèlerin solitaire
Il est des rendez-vous étranges
Qui dominent tout un destin
Celle où l’ancre cherche le fond
Quand le vaisseau colle à la rive
En son centre parfait Bordeaux
M’attendait pour la grande escale
Mon choix ? Bien mieux, le choix divin.
Elle ajoute alors à son patronyme d’Héliodore celui de Gallienne, nom de jeune fille de sa mère. Car ces deux noms ne sont pas, comme on pourrait avoir tendance à le croire, de poétiques pseudonymes littéraires mais bien ses noms véritables.
Héliodore, en grec, signifie Présent du Soleil. C’est le 31 août 1896, à Paris, qu’Alice Caroline Héliodore a vu le jour. Son père était originaire de l’Île de la Réunion. Venu en France pour ses études à l’École Centrale il choisit d’y rester et d’y exercer sa profession d’ingénieur. Alice a une première partie de vie aisée, elle voyage grâce aux fréquents déplacements professionnels de ses parents et surtout elle se sent attirée très tôt par la littérature, la poésie, et n’envisage pas d’autre carrière :
« Á l’âge où l’on rêve d’être écrivain j’envisageai un beau labeur … nourri de voyages et de lectures. Pas d’autres trêves dans ce que je nommai tout bas ” Ma carrière ” …. La vie se jouera de tout cela »
Alice perd son père encore très jeune mais cela ne l’empêche pas de débuter ” sa carrière “. En 1922 elle reçoit le prix François Coppée, prix de poésie décerné par l’Académie Française, pour son premier recueil de poèmes publié : Sagesse de France. Un an après, une autre distinction ; la médaille de vermeil de la Société d’Encouragement au Bien décernée par sa maison d’édition ” La Caravelle ” à Paris. Alice, encouragée, publie en 1932 ” Offrande au Génie ” pour lequel elle se voit attribuer un autre prix de poésie en 1933, il s’agit du Jules Davaine, toujours décerné par l’Académie Française..
Nous la retrouvons en 1938 à Bordeaux. Écoutons ce qu’elle dit elle-même de cette année qui marque un tournant important dans sa vie : « Tous mes ouvrages de prose portent cette date, 1938. Année féconde, frénésie indicible, rythme illogique et heurté ». En effet, dans cette seule année elle n’écrit pas moins de sept romans, c’est pourtant une période bien sombre qui s’ouvre devant elle. Que s’est-il passé entre son jeune succès parisien de 1933 et la misère dans laquelle elle se trouve en 1938 à Bordeaux ? Alice est poète dans l’âme, elle vit dans son monde intérieur, sans aucun sens des réalités matérielles : « La guerre n’apporta pas le malheur dans ma vie, il s’y était déjà glissé, attaquant ma santé et détruisant mes ressources, mon labeur littéraire m’avait rendu inapte à la lutte matérielle ».
C’est à cette époque que se situe sa rencontre avec Louise Lise Huard dont elle devient la dame de compagnie. Madame Huard était une ancienne artiste de théâtre qui avait eu sa part de gloire au début de ce siècle. Elle s’intéresse à la littérature, écrit elle-même et décide d’aider Alice en finançant l’un de ses romans, ” Ennemis ” qui sera signé de leurs deux noms. Alice Héliodore a trouvé ainsi le moyen de remercier sa bienfaitrice. Madame Huard publie aussi, aux éditions Samie à Bordeaux, un de ses propres ouvrages, ” Sous la Fontaine “, dont la préface est signée Alice Gallienne. Cette collaboration dure une dizaine d’années, jusqu’en 1949, date du décès de Louise Lise Huard. Comment Alice vécut-elle ces années ? Elle était à l’abri du besoin, délivrée de soucis matériels et même si elle n’avait pas une totale liberté, car redevable envers madame Huard, on peut penser qu’elle avait tout loisir d’écrire. Là est sa passion, sa vie, elle semble pourtant avoir peu publié pendant cette période. En 1949, donc, Alice Héliodore Gallienne est seule, elle a perdu son soutien, sa stabilité matérielle mais elle a recouvré son entière liberté. Elle emménage 136, rue Judaïque, dans une chambre sans cuisine mais cela n’est qu’un détail pour elle : dans les périodes fastes elle prend ses repas au restaurant Le Splendid, en face du Grand Théâtre, dans les périodes moins fastes, où elle peut… Quand elle peut…
Á partir de 1951 a lieu la publication de tous ses romans écrits en 1938, sous le titre générique ” La Ronde de Feu “. ” Ennemis ” est réédité sous son seul nom, cette fois. Elle « signe seule ce qu’elle a écrit seule » car « On ne transige pas plus avec la maternité de l’esprit qu’avec celle de la chair » écrit-elle dans la préface de cette réédition. Tous ses livres sont édités à Bordeaux, sur les presses des imprimeries Samie. Grâce à ces publications et à un petit héritage Alice connaît une bonne aisance financière, aussi, fidèle à elle-même, elle dépense sans compter et effectue de nombreux voyages.
En 1954 elle est reçue à l’Académie Montesquieu. Son discours de réception à cette Académie est déposé à la Bibliothèque de Bordeaux sous le titre : ” Á Travers l’Europe, Sur les Traces de Montesquieu ” (éd. Samie).
Hélas, au début des années soixante, ses ressources sont épuisées et elle connaît de nouveau la misère. En 1962 pourtant elle reçoit ” La Fraise d’Or ” de Pessac et 1964 voit la publication d'”Hommages”, poèmes dédicacés à chacun de ses amis. Mais il n’y a rien à faire, bien qu’elle appartienne à de nombreuses sociétés littéraires et artistiques, le succès n’est pas au rendez-vous. Á cette époque la poésie se vend très mal. Alice subsiste grâce à la générosité de quelques amis et à de petits secours que lui fait parvenir le préfet M. Delaunay, qui se faisait un devoir de protéger les artistes.
Voici le portrait que nous fait d’elle son éditeur ; « C’était une femme d’une grande stature, de type créole, une personnalité très forte, exubérante, souvent vêtue d’un vieux manteau de vison très usé, chaussée de gros et larges souliers et de grosses bagues à tous les doigts ».
Alice tombe gravement malade, les derniers mois de sa vie elle écrit encore des vers dans un simple cahier d’écolier, d’une écriture maladroite où se trahit la souffrance…
Alice Héliodore Gallienne est morte à l’hôpital à l’automne 1966. Elle n’était pas mariée, n’avait pas de descendants, elle doit sa sépulture à la générosité de son éditeur et de Monsieur le Maire de Pessac, où elle repose.
En 1967 eut lieu une dernière édition de ses poèmes, un recueil ; “Bordeaux Cité des Grands Vins”, aux imprimeries Samie, où figure l’inédit du cahier. Puis le voile de l’oubli tomba peu à peu sur l’œuvre et son auteur, ce voile que nous tentons aujourd’hui d’entrouvrir parce qu’Alice Héliodore Gallienne est un authentique poète.
ŒUVRES D’ALICE HÉLIODORE GALLIENNE
Aux Éditions La Caravelle- Paris
Poèmes :
- Sagesse de France (1929)
- Offrande au Génie (1932)
Aux Éditions Samie – Bordeaux
Poèmes de 1951 à 1967 :
- L’Unique
- Ennemis
- Lina La recluse
- La Porte Ouverte
- Le Sang du Passé
- Une Seule Chair
- L’Étape Éternelle
- Á Travers l’Europe sur le traces de Montesquieu
- Présent du Soleil
- Hommages
- Bordeaux, Cité des Grands Vins
LE GRAND EXAMEN
Je n’ai pas peur de Dieu. Je sais qu’il est mon Père,
Il est même le seul à mériter ce nom.
Bien que celui de chair ait tracé son sillon
Il cède à celui-là que ma ferveur espère.
Que Satan irrité s’agite en son repaire !
Mon Maître est équitable et, bien sûr, il est bon.
Qu’est ce qu’un jugement ? Un motif de pardon,
Et pour gagner le Ciel n’avons-nous pas la terre ?
Que la mort ne me soit ni lutte ni tourment,
Mais plénitude, accord, et vrai repos du sage,
Arrivée à son but de l’ultime message.
Entre les bras du Roi de tout enchantement,
Puissé-je affronté brillamment
Ce grande examen de passage.
OFFRANDE AU GÉNIE – LA VEILLÉE FERVENTE
Veille ce soir, mon âme, et recueille les heures
Qui tremblent dans la nuit.
Une année agonise et toi, frêle, tu pleures
Sur elle à petit bruit.
Tu pleures !… Celle-là qui meurt est pardonnée,
Prête pour les adieux,
Comme la terre avec sa neige satinée
Sous la splendeur des cieux.
Tu ne te souviens plus des étranges blessures
Que te fit son printemps,
Ni des flèches de feu, ni des âpres morsures
De ses mois éclatants.
Tu retiens seulement les voluptés secrètes
Des beaux instants élus,
Mon âme et c’est assez pour que tu la regrettes,
L’année aux jours perdus.
Mais écoute ! Et soudain lève-toi, prophétesse
En tes voiles de deuil :
Douze coups vont tintant qui chassent la tristesse
Avec un clair orgueil.
Consens à rajeunir à cette voix profonde
Comme le vieux beffroi.
Cette année au front pur qui vient saisir le monde,
Mon âme elle est à toi !…
Hommage rendu à Héliodore Gallienne
Journées Européenne du Patrimoine (15 septembre 2012)
Dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine 2012, la Ville a décidé de rendre hommage à une personnalité aujourd’hui disparue des mémoires, mais qui a eu son heure de gloire. Il s’agit de la poétesse originaire de Paris et qui a passé une grande partie de sa vie à Bordeaux, Alice Héliodore Gallienne, qui a été inhumée au cimetière de Pessac en 1966. Á cette occasion, Jacques Clémens, historien, a demandé à Jean-Claude Caron* de dresser un portait de cette artiste. Il se trouve que Jean-Claude Caron, bien que n’ayant jamais rencontré la poétesse, s’est passionné pour ce personnage haut en couleur. Les personnes qui assistaient à cette présentation ont assisté à un événement imprévu : dans l’assistance se trouvait Monsieur Samie qui a connu personnellement l’artiste, puisqu’il a été son imprimeur. C’est ainsi que le public a pu profiter de témoignages vécus d’un très grand intérêt.
Après ces présentations, l’ensemble des participants s’est dirigé vers la pierre tombale, sous laquelle repose l’artiste et qui a été restaurée par M. Dominique Taïs. Danielle Le Roy, adjointe au Maire déléguée à la culture, a rendu un émouvant hommage à Héliodore Gallienne puis a déposé une gerbe offerte par les Pompes Funèbres Générales de Pessac-Alouette.
* Voir l’article que le journal Sud-Ouest a consacré à cet événement.