ALCIDE BONTOU
(Bordeaux 1835 – Pessac 31 juillet 1912)
par Jacques Clémens
« Le repas gastronomique des Français » est entré au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Donc, il est opportun de rappeler le centenaire de la mort dans sa villa à La Chenaîe, quartier de Noéra puis de Sardine, à Pessac d’Alcide Bontou qui a contribué au patrimoine gastronomique de la France. Il est placé au même niveau que Vatel (La Gironde viticole, 15 juillet 1907, p.116). Dès 1861, il est restaurateur au 64 rue Porte-Dijeaux. Curnonsky (1872-1956), prince des gastronomes a mis à l’honneur « un grand chef » et « un fin gourmet », M. Alcide Bontou.
Le centenaire de la mort d’un Pessacais
Alcide Bontou a connu des pertes familiales (Bull. Soc. Philomathique, 1903, p.31), mais aussi les honneurs ( Id.,1904, p.30, nomination au titre d’officier d’Académie, p.37; 1907, p.18; etc.).
Il est ainsi présenté, en 1911-1912, dans l’Annuaire du Tout Sud-Ouest, « rentier, professeur à titre gracieux des cours de cuisine régimentaire du 18e Corps d’armé et du cours municipal d’économie domestique, Rue Frère, 11, et villa Bougival, chemin de Saige, à Pessac.
Jean Félix Desplanques dit Alcide Bontou âgé de 77 ans est décédé le 30 juillet 1912 dans le quartier de Sardine. Des cartes postales concernent une villa Bontou à Pessac, appelée aussi La Chênaie (Guérin, p.95), villa Bougival, chemin de Saige. Il prenait ses vacances à Arcachon, en 1905, à la Villa Lorraine (L’Avenir d’Arcachon, 25 juin 1905).; en 1911, villa Tamaris (L’Avenir d’Arcachon, 24 septembre 1911, p.4). En 1910, lors de l’excursion des Musées scolaires de pêche à Arcachon, sur un chalutier , il leur a été offert un déjeuner « régionaliste » par le maître Bontou, professeur es arts culinaire (L’Avenir d’Arcachon, 2 octobre 1910, p.2 : sa bouillabaisse, voir sa recette de « Bouillabaisse« , dans son Traité de 1898, p.91).Selon La Petite Gironde du 2 août 1912, « Hier, ont été célébrées, au milieu d’une très nombreuse assistance, les obsèques de M. Alcide Bontou. Tenaient les cordons du poêle M. Charles Gruet , maire de Bordeaux, Henri Gounouilhou, directeur de la Petite Gironde , etc.
Le premier auteur d’une Cuisine bourgeoise bordelaise en 1898
Le premier auteur d’une Cuisine bourgeoise bordelaise en 1898
L’ouvrage d’Alcide Bontou a connu depuis sa première édition en 1898 (Bordeaux-Paris, 682 pages) de nombreuses rééditions plus ou moins complétées ou même modifiées. Sa dédicace est : « Je dédie ce livre à mes aimables Élèves et à mes Auditrices des Cours de Cuisine ménagère et d’Économie domestique. ». Vis-à-vis de la page de titre se trouve une photo du « Cours Municipal de Cuisine, professé par M. A. Bontou au Grand Amphithéâtre de l’Athénée ». Au premier plan, sur une table recouverte d’une nappe blanche se trouvent des piles d’assiettes, des plats, etc. et surtout une balance de cuisine. Derrière une table sur l‘estrade où il y a divers éléments de cuisine, sont debout de part et d’autre du professeur en costume, trois et quatre demoiselles avec un tablier blanc. A l’extrême gauche, sans doute un assistant. La photo est sans doute due à son gendre Terpereau. Le titre de l’ouvrage est Traité de Cuisine bourgeoise bordelaise par Alcide Bontou, Professeur des Cours de Cuisine et d’Economie domestique faits sous les auspices de la Municipalité et de la Société Philomathique de Bordeaux. L’ouvrage peut se trouver aussi « chez l’Auteur, 11, rue Frère, Bordeaux. La dédicace est « Je dédie ce livre à mes aimables Elèves et à mes Auditrices des Cours de Cuisine ménagère et d’Économie domestique ». Selon la préface des éditeurs, Féret et Fils : « Le grand succès obtenu par M. Bontou dans ses Cours [ gracieux] de Cuisine ménagère et d’Economie domestique nous a poussés à faire appel à sa science pratique pour publier le livre de Cuisine bourgeoise bordelaise qui nous est demandé à chaque instant […] M. Bontou croit que le travail est la seule, la vraie source du bonheur de l’homme […]
Nous avons vu accourir, aux leçons de notre Brillat-Savarin, la femme du monde, la bourgeoise, l’ouvrière, la domestique. Le mardi après-midi, les premières composent son auditoire, les secondes viennent au cours du jeudi soir; et le dimanche les autres sont en grand nombre ». […] M. Bontou a su [donner] à ses jeunes élèves le goût de l’art culinaire, et c’est vraiment curieux de les voir préparer sous ses ordres des mets dégustés ensuite par ses auditrices. Ceux qui prétendent que nos jeunes Bordelaises sont coquettes et ne savent s’occuper que de chiffons changeront d’avis en assistant au cours de M. Bontou et en voyant ses élèves nombreuses, dont quelques-unes appartiennent à nos meilleures familles, mettre avec plaisir le tablier blanc pour prêter leur concours au professeur.
Ils verront que beaucoup de mères comprennent que si les diplômes scientifiques sont utiles, celui de cordon-bleu ne l’est pas moins que les autres ; que la lutte pour la vie devient plus rude ; que les revenus diminuent ; et que dans la plupart des situations la science de l’économie domestique est plus profitable, souvent plus nécessaire, que la connaissance des arts d’agrément ; qu’un jeune homme sérieux appréciera plus, dans la fiancée qu’on lui propose, le savoir que M. Bontou lui aura donné, autant et peut-être plus que tous les autres. Il faut espérer que le gouvernement ne tardera pas à faire enseigner l’art culinaire dans les écoles secondaires et primaires de jeunes filles, et M. Bontou aura eu le mérite d’être l’un des premiers à créer un mouvement sûrement très heureux en faveur de cet enseignement… M. Bontou a voulu comme nous que son enseignement s’élargisse, et le rendre accessible au grand public, l’initier aux petits secrets de l’art culinaire bordelais, dont la réputation bien méritée s’étend presque aussi loin que celle de nos vins ». Ainsi, le projet d’Alcide Bontou dépasse celui de la promotion d’une gastronomie locale pour une éducation socio-économique qui concernait toutes les familles de son époque. Dans sa propre présentation « À Mes Lectrices », « Ce que je désire, c’est que la femme qui veut apprendre vraiment la cuisine puisse sans de grandes recherches faire un plat de ménage … Chacune y trouvera la façon la plus pratique d‘être agréable aux siens, en faisant non seulement de la bonne cuisine, mais encore de la cuisine économique et hygiénique». Réduire son ouvrage à un inventaire de plats typiquement bordelais est une trahison de son projet.
En 1906, la Revue illustrée du Tout Sud-Ouest, (p.230), présente le Traité de Cuisine bourgeoise bordelaise d’Alcide Bontou dont une nouvelle édition vient de paraître : « La cuisine ! Est-ce un art, est-ce une science? C’est évidemment l’un et l’autre ; M. Alcide Bontou, notre savant, professeur de cuisine bordelaise, nous l’a depuis longtemps prouvée , mais je crois que savoir bien apprêter les mets est, surtout pour lui, un art véritable, et nous l’appellerons aussi, un art d’agrément… ».
Traité de Cuisine bourgeoise bordelaise, par Alcide Bontou, Officier d’Académie, Professeur des Cours de Cuisine et d’Économie domestique faits sous les auspices de la Municipalité et de la Société Philomathique de Bordeaux et des Cours de Cuisine régimentaire du 18e Corps d’Armée, Bordeaux Féret et Fils, Éditeurs 15, cours de l’Intendance ; Paris, L. Mulo, Éditeur, 12, rue Hautefeuille, ou chez l’Auteur, 11, rue Frère, Bordeaux, 1906. On trouve la même photo du Cours Municipal. Il est signalé les ouvrages du même auteur : Guide la Maîtresse de Maison et de la Ménagère, Conseils aux Jeunes Femmes, Recettes de Cuisine et Traité de cuisine bourgeoise (épuisé). Pour paraître prochainement, Cours de Cuisine régimentaire. Sont signalés : Cours d’Économie domestique de cuisine ménagère. Professeur : M. Bontou, Société Philomathique, rue Saint-Sernin. Le dimanche, à deux heures de l’après-midi. Cours Municipaux. Le mardi, à trois heures de l’après-midi. Le jeudi, à huit heures et demie du soir. Athénée Municipal (salle 12). Cours particulier. Le mercredi, à quatre heures de l’après-midi. Pension Lourda, rue de Grassi. 622 pages.
A. Bontou, Traité de Cuisine Bourgeoise simplifiée et pratique , édité par La Petite Gironde 8, rue de Cheverus, Bordeaux, 1907.
On signale du même auteur, Traité de Cuisine Bordelaise, un fort volume de 700 pages; Traité de Cuisine Bourgeoise, un volume de 540 pages; Guide la maîtresse de maison et de la ménagère : conseils aux jeunes femmes, recettes de cuisine, un volume de 530 pages. En vente chez l’auteur, M. Bontou, 11, rue Frère, Bordeaux ou aux dépôts de LA GIRONDE. Selon la préface, « après le très grand succès obtenu par mes trois précédents ouvrages et l’accueil bienveillant qu’ils ont rencontré parmi les dames du monde et les bonnes ménagères, j’ai cru devoir faire un quatrième volume qui, malgré son prix très modeste, est appelé à rendre service à mes aimables et fidèles lectrices.
C’est d’ailleurs pour une très grande partie, des recettes nouvelles qui font une suite à mon Traité de Cuisine bourgeoise bordelaise dont la deuxième édition ne tardera pas à être épuisée ». Il rappelle qu’il professe depuis dix ans. Immédiatement après la préface, les pages 5 à 7 livrent des « renseignements relatifs à l’emploi du gaz pour la cuisine ». Après une présentation des « épices, aromates et assaisonnements divers » (p.8 -13), il répond à la question : « Où faut-il se servir d’Extrait de viande et lequel doit-on employer? » (p.14-36): « Le Liebig doit être préféré à tous ces articles plus ou moins similaires… dont les usines sont situées dans l’Uruguay et la république Argentine ». Ensuite les recettes sont groupées : Soupes et potages, Hors-d’œuvre, Sauces, Bœuf, Mouton, Veau, Agneau, Porc, Volaille, Gibier, Poisson, Œufs, Légumes, Pates, Entremets, Glaces, Pâtisseries.
En 1914, sont publiées, Les dernières Recettes Culinaires de A. Bontou. Complément indispensable au Traité de cuisine bourgeoise pratique et simplifiée, Imprimeries Gounouilhou, 60 pages. L’opuscule contient des publicités, en particulier de Liebig (p.7, p.18), de son Traité de Cuisine Bourgeoise simplifiée et pratique, 284 p. (p.24), et du Chocolat de Guyenne (p.32) et « Pour la Cuisine, La Végétaline s‘emploie comme Le Beurre, l‘Huile, la Graisse et coûte moins. Nom déposé » (p.38), « La Floravène. Délicieux aliment de régime, etc. » (p.48).
En 1921, est publié par Féret et Fils et L.Mulo, à Paris, son Traité de Cuisine Bourgeoise Bordelaise, 444 pages.
Alcide Bontou, La Cuisinière Bordelaise, édition entièrement refondue et mise à jour par Claude Tchou. Préface de Philippe Sollers, Solar, 1995. Philippe Sollers, né en 1936, à Talence de la famille des industriels Joyaux, évoque en deux pages ses souvenirs où il associe mets et vins, ce qui n’a rien à voir avec le « projet d’éducation culinaire » d’Alcide Bontou.
LAMPROIE À LA BORDELAISE
Nombre de convives : 4 personnes
Ingrédients : 1 lamproie de 1 kg, bon vin rouge, bouquet garni, sel, poivre, champignons, de beaux poireaux, 12 petits oignons, 200 grs de jambon, bon vin rouge (sic), un peu de bouillon, le sang de la lamproie.
La lamproie est un poisson rare, que l’on ne pêche que dans certaines rivières.
La Dordogne et la Garonne en fournissent beaucoup. L’envoi au loin de la lamproie est très difficile, car elle doit se préparer vivante. Deux ou trois heure après la mort il est presque impossible de retirer le cordon qu’elle a au milieu du corps sur toute la longueur, et qui remplace les arêtes que ce poisson a le grand avantage de ne pas avoir. Si le cordon est laissé, il donne un goût très désagréable. Prenez donc une lamproie vivante ; attachez-la avec une ficelle par la tête et suspendez-la à un clou : coupez-lui le bout de la queue, à quatre ou cinq centimètres ; placez au-dessous un vase dans lequel vous aurez mis un verre de vin rouge, pour recueillir le sang. Après une demi-heure de suspension, vous prenez votre poisson, le trempez dans l’eau bouillante quelques secondes, le retirez, l’étendez sur une table et le raclez avec la lame d’un couteau pour enlever le limon. La lamproie ne se pèle pas.
Coupez-la ensuite en tronçons de six à sept centimètres que vous mettez dans une terrine où vous avez recueilli le sang : mais en coupant, sortez le cordon. Épluchez une quinzaine de beaux poireaux en enlevant la barbe, mais en laissant la partie la partie dure qui est la tête du poireau, pour qu’il ne se brise pas dans la sauce ; sortez également le vert. Mettez dans une casserole un bon verre d’huile ; vous y mettez à roussir vos poireaux, les petits oignons et le jambon coupé en dés (à moins que vous ne vouliez la préparer au maigre). Lorsque vos légumes sont dorés, mettez une cuillerée et demi de farine, que vous laissez roussir en remuant à la cuillère de bois ; ayez soin soin de ne pas écraser vos légumes. Mouillez avec une bouteille de vin rouge et un peu de bouillon. Ajoutez un fort bouquet garni, sel et poivre ; vous pouvez y mettre aussi quelques champignons. Laissez réduire votre sauce trois quarts d’heure à feu doux ; mettez-y vos tronçons de lamproie, et laissez cuire trois quarts d’heure encore. Au moment de servir, liez votre sauce avec le sang que vous avez mis de côté (agitez la sauce pour bien la lier).
Entourez le plat de croutons, et servez.
Nota. Pour sortir plus facilement le cordon de la lamproie, vous pouvez aussi la fendre de la tête vers la queue, et l’enlever en une seule fois.
Alcide Bontou, Traité de Cuisine Bordelaise, page 226, Éditions Féret
La Villa Bontou
Alcide Bontou en a fait l’acquisition dans les années 1880. La villa est restée la propriété familiale jusques dans les années 1950. Achetée par la Ville , elle a été rasée pour permettre l’agrandissement de l’école voisine d’Edouard-Herriot.
« Lorsqu’à la campagne, par exemple, il n’est pas possible d’avoir le gaz, il est un four que j’ai fait construire et qui m’a rendu de grands services dans ma propriété: c’est une caisse carrée en tôle à une étagère mobile au milieu. Je mettais au dessous un foyer que je chauffais au charbon de bois; au dessus j’avais fait construire une galerie dont les bords avaient dix centimètres de hauteur; je mettais là du charbon de bois bien pris. Les portes du four se fermant hermétiquement, j’avais ainsi mon sol bien chauffé et le plafond aussi […] avec mon système le plafond donne la chaleur qu’on veut lui faire donner en mettant plus ou moins de braise » (Traité…,p.5).
Lors du repas de départ de Bordeaux, de M. Grémailly, ayant cédé son hôtel des Princes et de la Paix, Bontou apporta « deux bouteilles château-haut-brion 1838, ces dernières avaient été mises dans des bouteilles anglaises et bouchées en bouchons de cristal à l’émeri; c’était à l’époque la mise en bouteilles du château » (p.24). On payait « un château-brion 1875 cent francs la bouteille » (p.25).